Des Batailles (2008)

Les Euménides d’Eschyle se terminait par l’avènement de la démocratie et la célébration d’Athéna – la raison pacificatrice. La pièce de Pasolini, Pylade, en est la suite crépusculaire. Allégorie sur le devenir oligarchique de notre société, elle donne voix à l’ombre d’Oreste, Pylade. A l’issue de la confrontation des deux grecs, le destin de la démocratie s’écrit de façon tragique. Autour de cette fable, nous avons articulé plusieurs matières (ou batailles).

Nous avons recueilli les paroles de huit militants à l’occasion des élections présidentielles de 2007 – paroles recueillies avant le premier tour.

Nous nous sommes également inspirés de textes théoriques. Les dialogues platoniciens, qui opposent Socrate aux sophistes, donnent en spectacle la démocratie grecque ou son simulacre.

Dans ce jeu de vision, nous avons joué à donner une suite à la fable de Pylade en revisitant les romans d’anticipation (le texte fondateur de Zamiatine, Nous autres, mais aussi des prophéties plus contemporaines.)

Chacune de ces matières – fictionnelles, documentaires ou philosophiques – correspond à des niveaux de jeu et de langues différents. Dans notre dispositif cette « crise de la démocratie » est aussi une crise de la représentation.

Extraits :

Parfois, un changement tout petit

s’accomplit en un millénaire,

parfois, il suffit d’une nuit…

Pasolini, Pylade

Critique :

« Pylade, personnage éponyme de la pièce de Pasolini, le dit : « il n’y a aucune réalité, pas même la plus douce et la plus enracinée / dans une vie – au point de se confondre avec elle – , / qui ne soit destinée à vieillir. / La vraie fatigue de l’homme / est de suivre l’aventure de cette réalité. »

Un spectacle important d’Olivier Coulon-Jablonka, Des Batailles, saisissait à bras-le-corps cette difficulté dans le frottement proposé entre, précisément, le texte de Pasolini, Pylade, et la campagne présidentielle de 2007 ; entre la majesté d’une interrogation ardue sur le pouvoir, sa substance, ses dangers et les illuminations managériales contemporaines ; entre une méditation sur la démocratie, ses mythes, ses risques et le pro-banlieues. Ce spectacle tissait patiemment discours et niveaux de pensée (le mythe, la prophétie, la tragédie, le témoignage militant), superposait à la geste terrible de Pasolini le récit difficile des pratiques militantes, des tracts et des collectifs unitaires. Le Moukden Théâtre proposait un vis-à-vis passionnant (un motif éclairé par l’autre, dans un montage parfois « cut », ou les deux s’interpénétrant), qui révélait combien, malgré tout, dans le dédale d’un monde contemporain, sans éclat ni lyrisme, de l’histoire est produite, incéssamment. Quelque chose vient ; peut-être même l’insurrection – cela peut faire plaisir d’y croire. Plus concrètement, quelque chose est déjà là, « en train de », quelque chose est toujours déjà là, gros de risques et de possibles et c’est de s’inscrire dans la contradiction, dans l’opacité, pour l’heure insurmontée, que ce théâtre rend à l’histoire sa puissance pratique. »  Olivier Neveux, Politique du spectateur, chapitre 8 « Un théâtre de la capacité » p 183, éditions de la découverte, 2013.